Atelier tag à Nanterre
Projets - 14 août 2019

“En Afghanistan, j’avais tout !”

Rafi et sa femme Aida ont quitté l’Afghanistan début 2016, fuyant les violences à répétition des talibans et l’insécurité grandissante. Dans leurs sacs ? L’espoir d’un meilleur avenir en Europe. Après avoir passé plus de deux ans en Italie, la famille a déménagé en France, dans le centre d’hébergement d’urgence de Nanterre, géré par l’association Aurore. Au quatorzième étage du bâtiment, vue sur la Défense : l’Ideas Box, où chaque jour notre équipe d’animatrices organise des ateliers et des cours de français. Aujourd’hui à Marseille, Rafi nous raconte son quotidien en France et comment cette bibliothèque a favorisé son intégration.

Originaire de la province d’Herat, à l’ouest de l’Afghanistan, Rafi commence à coopérer en 2004 avec les forces maritimes afghanes. Alternant entre plusieurs postes pendant quelques années, il devient finalement interprète en 2010. Parallèlement journaliste au sein de Radio Bhaijaan, il recueille aussi régulièrement informations et témoignages des habitants alentour. Sur la grille des programmes, plusieurs émissions relaient chaque jour l’héroïsme des forces armées afghanes. Inquiété par les premières menaces proférées par les talibans envers ses collègues et camarades, Rafi prend alors la décision de quitter le pays avec sa femme, direction l’Europe.

“En Afghanistan, j’avais tout : ma famille, un bon salaire et une belle maison. Mon seul problème était le poste que j’occupais, c’est pour cela que j’ai dû partir ! J’en souffre énormément aujourd’hui, ma femme également. Nous avons tout perdu : notre pays, notre vie.”

Comme de nombreux migrants, Rafi et Aida arrivent d’abord en Italie, où leur fils naît quelques mois plus tard ; Fayaz a maintenant deux ans. Ils font alors rapidement face à la complexité de l’administration italienne et du droit européen. Après plus de deux ans à Milan, la famille décide de suivre les conseils de quelques connaissances et de partir en France. Paris s’impose alors, l’effroi aussi.

“Des milliers de migrants dormaient par terre, dans la rue, ce qui ne semblait inquiéter personne. J’ai tout de suite pensé que c’était la plus grande erreur de ma vie. En Italie, au moins, nous avions un endroit où dormir. Les premiers jours ont été particulièrement difficiles. Nous avons passé trois nuits dehors, au même endroit, il faisait vraiment froid. Heureusement, nous avions un enfant : nous avons donc été très vite orientés dans le centre d’hébergement d’urgence de Nanterre.”

Confrontée à un nouvel environnement, la famille doit alors recomposer et se réinventer.

“Le début a été très difficile, notamment à cause de la langue et de la culture. Tout était différent et nouveau pour moi. Mais j’ai fait de mon mieux pour m’intégrer au groupe, pour parler aux autres résidents du centre. Après quelques semaines à Paris, j’avais déjà beaucoup d’amis.”

La plupart de ses amis, Rafi les rencontre au sein de l’Ideas Box, installée depuis trois ans au quatorzième étage du centre d’hébergement. Ils sont afghans, soudanais ou érythréens. Ils sont étudiants, professeurs ou avocats. Comme lui et Aida, dans l’attente d’un titre de séjour.

Dans cette bibliothèque, des livres en farsi, en dari, en arabe, en anglais, des contes pour enfants et des imagiers français pour apprendre la langue. Des ordinateurs, un accès à internet, des tablettes et des jeux de société. Chaque jour, ils sont une trentaine de migrants et de réfugiés à rejoindre notre équipe d’animatrices pour se retrouver; discuter, jouer, remplir leurs documents administratifs ou bien faire leurs devoirs. Beaucoup profitent également des ressources de l’Ideas Box pour progresser en français et comprendre leurs droits, du logement à la santé. Régulièrement, des activités sont aussi organisées, autour de l’Histoire de France, de la géographie ou de la cuisine. Certaines sont mixtes, d’autres exclusivement pour les femmes ou les enfants, auxquelles participaient Aida et Fayaz.

“Nous venions souvent tous les trois dans cette bibliothèque, nous aimions beaucoup y passer du temps. Il y avait toujours du matériel pour colorier, dessiner, lire. Pendant deux mois, ma femme a même suivi un atelier pour la réalisation d’une vidéo. Parfois des soirées cinéma. Je me souviens surtout d’une fête l’été dernier, où tout le monde dansait et où nous avions pu taguer les murs du centre ! Nous avons appris beaucoup de choses. Sur les tablettes, je jouais sur pas mal d’applications – notamment en réseau avec un ami resté en Inde.”

S’il en parle au passé, c’est parce qu’il y a quatre mois, Rafi et sa famille ont été relogés à Marseille, en raison de nouvelles arrivées dans le centre.

“Nous étions beaucoup mieux à Nanterre. Ici, ma femme et moi dormons séparément. Aida dort avec Fayaz dans une très petite chambre, moi dans une autre pas plus grande. Il n’existe aucune activité pour les migrants là où nous séjournons. Il est donc plus difficile de rencontrer des gens. Il y a pourtant plus de 200 résidents dans le centre, mais je ne les vois jamais quitter leur chambre. Quand je leur demande pourquoi, ils me répondent qu’il n’y a rien à faire, qu’ils s’ennuient. Aucune association ne propose quoi que ce soit ! Contrairement à Nanterre où nous étions tout le temps stimulés.”

Il y a quatre mois, Rafi passait son entretien à l’OFPRA pour obtenir son statut de réfugié. Il est aujourd’hui toujours sans réponse.

“Une fois l’entretien passé, vous pouvez attendre jusqu’à un an votre réponse. Nous espérons la recevoir positive rapidement, afin que notre vie puisse enfin changer. En Afghanistan, j’ai étudié le journalisme pendant deux ans, avant que cela ne devienne une menace pour ma propre vie. Si j’en ai l’occasion, j’aimerais poursuivre ces études.

La raison principale de notre venue en France, c’est notre enfant. J’aimerais lui offrir un meilleur avenir, une meilleure vie. Pas comme la mienne, pas comme celle qu’il aurait pu vivre en Afghanistan.”

Photographie à la Une : Pascal Bachelet

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