Depuis quatre ans, nous travaillons chaque hiver dans les gymnases parisiens pour favoriser l’autonomie des personnes dans la rue. Chaque soir, ils ont accès à des lits de camp, un repas chaud, une douche et l’Ideas Box. Ils peuvent alors jouer à des jeux de société, regarder des films, utiliser les ordinateurs et lire. Une parenthèse culturelle pour oublier leur quotidien.
Dans le gymnase Ronsard, Augustin Trapenard a rencontré le mois dernier Thierry, un habitué de la bibliothèque, ancien cuisinier et sans domicile fixe depuis plus d’un an. Ici, on l’appelle « tonton ».
6 janvier 2020. Ils sont environ quatre-vingts hommes dans ce gymnase du 18ème arrondissement de Paris, orientés par les équipes du Samusocial après avoir appelé le 115. Depuis deux mois, ils dorment sur des lits de camp sommaires, portant le nom de chacun d’eux, bien alignés par rangée de six. Certains sont Français, d’autres demandeurs d’asile, guinéens, ivoiriens ou marocains. Un tiers d’entre eux travaille pourtant, comme agents de service ou en cuisine. D’autres attendent toute la journée, dans la rue, dans le métro, pour pousser les portes du gymnase et s’abriter du froid pour la nuit.
Chaque soir, un repas chaud et une douche dans les vestiaires. Trois fois par semaine également, des bénévoles de Bibliothèques Sans Frontières viennent y installer l’Ideas Box, notre médiathèque itinérante, permettant aux hébergés un accès libre à un ensemble de ressources sélectionnées par notre équipe, spécifiquement pour ce projet : jeux de société, films et bandes dessinées.
Ce soir-là, Thierry Peltre ramène la bande dessinée “Le Photographe” d’Emmanuel Guibert – récemment Grand Prix du festival d’Angoulême – empruntée une semaine plus tôt dans l’Ideas Box. Autour d’un jeu de Jenga, Augustin Trapenard en profite pour échanger avec lui.
« Depuis que je suis à Paris, tout le monde m’appelle “tonton”. Je suis l’ancien quoi… j’ai 56 ans, je suis un vieux de la vieille. Je suis dans la capitale depuis le 22 novembre 2018, près du métro Maubert-Mutualité surtout. Avant j’étais à Cannes, j’étais cuisinier. J’ai un CAP, un BEP et un bac pro. Puis j’ai perdu ma femme d’un arrêt cardiaque foudroyant à 45 ans… Quand je suis arrivé ici, j’me suis retrouvé dehors, je dormais dans la rue. »
Pour lui, les journées se ressemblent : départ matinal à 8h30 pour aller faire la manche à Gare de l’Est, jusqu’à l’ouverture du gymnase à 18h où il rejoint l’Ideas Box pour lire et jouer. Dans sa poche, parmi le peu d’affaires personnelles qu’il garde avec lui : un polar.
« Les polars, c’est une passion. J’ai toujours beaucoup lu. La lecture, ça permet de m’instruire, d’apprendre de nouveaux mots. L’Ideas Box, c’est que du bonheur ! »
11 février 2020. C’est la dernière soirée de Thierry au gymnase. Demain, il dormira dans un logement social, grâce à l’accompagnement du Centre d’Action Sociale de la Ville de Paris et autres associations – comme Entourage – présentes chaque soir de la semaine. Il le promet : il reviendra, mais seulement pour « revoir sa famille ».
Un texte de Jean-Baptiste Gossot
Grâce au soutien de la Fondation Up et aux côtés du Centre d’Action Sociale de la Ville de Paris, nous intervenons depuis 2016 dans le cadre du Plan d’Urgence Hivernale, un dispositif au cours duquel la Ville de Paris met à disposition une dizaine de gymnases pour abriter du froid les personnes sans-abri durant la période du Plan Grand Froid, s’étendant cette année du 28 novembre 2019 au 4 avril 2020.