Projets - 8 juin 2020

Kajou : Bibliothèques Sans Frontières crée son entreprise sociale

En 2019, Bibliothèques Sans Frontières a créé l’entreprise sociale Kajou pour diffuser des contenus multimédias aux populations qui ne sont pas ou mal connectées à Internet. Entretien avec Jérémy Lachal, directeur général de BSF et président fondateur de Kajou.

jeremy

Kajou c’est quoi ?

Kajou est une entreprise sociale créée par Bibliothèques Sans Frontières en 2019 pour diffuser des contenus multimédias aux populations qui ne sont pas ou mal connectées à Internet. Alors que la moitié de la population mondiale n’a pas accès à un Internet de qualité, les besoins en diffusion de contenus numériques de formation, d’éducation, d’information ou de loisir n’ont jamais été aussi importants.

Kajou, ce sont des cartes SD pleines de contenus – vidéos, textes, audio, sites web, etc. – qui s’insèrent dans les téléphones et les transforment en bibliothèque ou en véritable campus, qui tiennent dans la poche. Et tout cela, sans avoir besoin de connexion Internet !

 

Pourquoi BSF a-t-elle créé cette entreprise sociale ?

Cela fait près de six ans que BSF travaille sur la thématique de l’Internet offline ou asynchrone. Lorsque je présente le serveur Ideas Cube [NDLR : nanoserveur qui permet de créer un hotspot wifi et de diffuser des contenus localement dans les zones non couvertes par Internet] dans des conférences ou à des partenaires, on me pose systématiquement la question suivante : “où peut-on l’acheter ?” Si l’on me demande cela, ce n’est pas pour équiper une école ou un centre de santé mais bien pour l’installer chez soi, parce que certains n’ont pas une connexion suffisante pour accéder à des contenus numériques pour l’éducation de leurs enfants par exemple, de l’autoformation ou encore du loisir.

C’est pour répondre à ce besoin que nous avons créé Kajou. Son ambition est la même que celle de BSF : porter la connaissance à celles et ceux qui en sont privés. Le moyen, quant à lui, est différent. Avec Kajou, nous serons dans une logique commerciale et ne reposerons plus seulement sur les financements classiques de l’aide au développement. Cela nous permettra de travailler de manière différente avec les Etats, les ONG et les entreprises. En réalité, quand vous parlez aux acteurs publics et privés en Afrique subsaharienne, vous vous rendez compte qu’ils ont tous des besoins très forts en matière de diffusion de contenus auprès de leurs usagers. Et cette prise de conscience s’est davantage renforcée avec l’épidémie de COVID-19, la fermeture des écoles et la mise à l’arrêt de pans entiers des services publics et de l’économie.

 

La diffusion d’Internet partout et pour tous ne va-t-elle pas à contre-courant de ce projet ?

C’est une question que l’on nous pose souvent et à laquelle on peut répondre à deux niveaux. D’abord, même si l’Internet pour tous progresse très vite, les plus vulnérables seront les derniers à en bénéficier. En Europe ou aux Etats-Unis, 20% de la population n’ont pas de connexion Internet au sein de leur domicile. En France, nous avons un biais de représentation à ce sujet car nous sommes l’un des pays au monde où l’Internet est le moins cher. En Afrique subsaharienne, même si l’Internet 4G progresse rapidement, dans dix ou vingt ans, les 20% les plus pauvres auront toujours un accès nul ou dégradé à celui-ci.

Par ailleurs, Kajou n’est pas conçue comme un concurrent d’Internet mais comme un complément. En réalité, dire que la moitié de la population mondiale n’a pas Internet est un raccourci. La plupart des gens a plutôt un accès dégradé et intermittent à Internet : parce qu’ils n’ont pas les moyens de se payer de la donnée pour le mois entier, qu’ils ont seulement accès à un hotspot wifi au travail ou à l’université, qu’ils peuvent se connecter en ville mais plus au village ou que la bande passante est trop faible pour regarder des vidéos, etc. Les cas d’utilisation sont nombreux et l’immense majorité de ces populations jongle entre online et offline.

C’est pour cela que nous avons créé Kajou, comme un pont entre le en-ligne et le hors-ligne. Kajou est ainsi d’abord une offre de contenus de qualité, peu importe le moyen d’y accéder : une carte SD, le cloud ou directement en échangeant les contenus avec ses proches. Et c’est justement parce qu’elle s’appuie sur le fantastique catalogue de contenus de BSF, disponible aujourd’hui en 25 langues, que Kajou peut proposer des contenus sur-mesure de grande qualité.

 

Quelles sont les prochaines étapes ?

Kajou prendra son envol en 2020 avec la réalisation de la technologie grâce au soutien de Capgemini, une première levée de capital auprès de Business Angels et le démarrage des premiers projets, en particulier en Afrique de l’Ouest. Bien sûr, l’équipe de BSF est mobilisée dans cette fantastique aventure, même si nous veillons bien à cloisonner les activités pour des raisons éthiques et légales. L’aventure est en tout cas passionnante et souligne une fois encore la formidable capacité d’adaptation et d’innovation de BSF pour atteindre les objectifs que l’on s’est fixés.

Cet entretien est extrait de notre rapport annuel 2019/20, bientôt disponible en ligne.

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