Projets - 27 octobre 2020

Face à la crise sanitaire, la résilience des réfugiés rohingyas

La crise sanitaire a mis en évidence l’importance vitale d’un accès à une information de qualité, notamment pour les populations les plus vulnérables. Depuis le mois de mars, dans le camp de réfugiés rohingyas au Bangladesh, nos équipes organisent régulièrement des actions de sensibilisation et de prévention contre le virus et des ateliers pour lutter contre les fake news qui circulent activement. Fariha Mostafa, chargée de projet, nous raconte leur quotidien.

Depuis trois ans, le district de Cox’s Bazar au Bangladesh est le refuge de 860 000 rohingyas, une minorité musulmane discriminée au Myanmar depuis plusieurs décennies. La majorité de ces réfugiés se concentre aujourd’hui dans le camp de Kutupalong, une ville avec ses abris en bois et en bambou, où le taux d’alphabétisation n’atteint pas les 30%.

En 2019, nous avons installé six Ideas Box et dix Ideas Cube dans les camps et les villages alentour pour permettre aux exilés et aux Bangladeshis de se rencontrer, se divertir et continuer d’apprendre. Des ateliers y sont depuis organisés, principalement pour les enfants et adolescents : apprentissage du numérique sur les tablettes et les ordinateurs, cours d’écriture, recueil d’histoires et de contes traditionnels rohingyas. Faute de places dans les écoles du camp, beaucoup d’entre eux se retrouvent dans les Ideas Box plusieurs fois par semaine. Et vint la crise sanitaire…

“Nos activités ont été fortement affectées par la Covid-19, nous avons dû nous adapter rapidement. Avec l’Organisation Internationale pour les Migrations, des ateliers de sensibilisation et de prévention contre le virus ont été mis en place dans le respect des gestes barrières. Les livres, les jeux et les tablettes sont maintenant désinfectés avant chaque activité et les participants sont encouragés à se laver les mains régulièrement. Avant l’épidémie, une activité comptait en moyenne 10 à 12 participants, ils sont désormais la moitié.” Fariha Mostafa, chargée de projet au Bangladesh.

Atelier de sensibilisation et de prévention contre la Covid-19, 2019

Il y a quelques mois, une rumeur circulait dans le camp selon laquelle un vaccin contre la Covid-19 était disponible mais seulement réservé aux Bangladeshis. De nombreuses tensions ont alors éclaté. Pour faire face à la désinformation, nos équipes ont alors organisé plusieurs activités pour apprendre à détecter les fake news.

“Les réfugiés rohingyas sont extrêmement vulnérables aux différentes rumeurs qui circulent dans le camp. Souvent transmise d’une personne à une autre, une information est très susceptible d’être déformée, ce qui peut les mettre en danger.

Nos équipes ont sélectionné et traduit des contenus fiables et organisé des ateliers pour lutter contre les fake news. Face à l’incertitude de la crise sanitaire, des groupes de parole ont aussi été mis en place pour que chacun puisse exprimer librement ses appréhensions.” Fariha.

Autre rumeur, celle d’une propagation plus forte du virus chez les Rohingyas.

“Les tensions entre les Rohingyas et les Bangladeshis ne sont pas nouvelles. À l’inquiétude des communautés d’accueil de perdre leurs terres et leurs emplois au profit des réfugiés s’est ajoutée la peur d’être contaminés par ces derniers. C’est pourquoi nous organisons aussi des activités communes où ils peuvent se rencontrer et apprendre à se connaître autour d’un film ou lors d’une promenade photographique.” Fariha.

Ateliers avec les réfugiés rohingyas
Atelier photographique avec des jeunes adolescents rohingyas, 2018

Contrairement aux garçons et aux hommes, les jeunes filles et les femmes se déplacent beaucoup moins facilement dans le camp. Pour celles qui le peuvent, nos équipes organisent des activités qui leur sont exclusivement réservées dans les Ideas Box.

“Ces médiathèques font partie des rares espaces où les jeunes filles et les femmes peuvent se retrouver et s’exprimer librement. On y organise des cours d’anglais, parfois des cours de broderie. Souvent, les activités naissent de leurs envies. Dans l’Ideas Box du camp 24, certaines femmes – moquées par leurs maris – ont voulu apprendre à écrire leurs noms en anglais pour signer des documents officiels. Jusqu’alors, elles utilisaient leurs empreintes digitales.” Fariha.

Pour approcher celles qui ne fréquentent pas les espaces communautaires, notre équipe se déplace dans le camp avec des Ideas Cube, des serveurs autonomes dont les contenus exclusivement en birman, en rohingya et en anglais ont été sélectionnés par notre équipe, avec l’aide de traducteurs locaux : des films, de la musique et des livres sans texte.

“Les mariages précoces et les contraintes religieuses limitent fortement l’accès aux Ideas Box des adolescentes et jeunes femmes rohingyas. Comme certaines ne sont pas autorisées à s’y rendre, nous avons dû convaincre leurs familles d’organiser des activités dans leur propre maison, à l’abri des regards masculins. Dans le camp 24 par exemple, l’une de nos animatrices organise auprès d’elles des séances de sensibilisation sur l’hygiène menstruelle.” Fariha.

Depuis quelques mois, des formations sont enfin dispensées par nos équipes auprès des communautés hôtes et réfugiés pour qu’ils deviennent autonomes dans la prise en main de nos outils. Notre objectif : qu’ils puissent prochainement initier, préparer et animer leurs propres activités en s’appropriant les contenus des Ideas Box et des Ideas Cube, sans l’aide de nos équipes.

Depuis 2007, Bibliothèques Sans Frontières agit sans relâche pour favoriser l’accès à l’information auprès de celles et ceux qui en sont privés – des camps de réfugiés au Bangladesh aux territoires ruraux en France – et faire du droit à la culture un droit fondamental de l’être humain. En treize ans, l’association a touché plus de six millions de personnes dans cinquante pays.

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