Éducation - 22 juin 2020

Ideas Box 4 Women : des espaces d’émancipation pour les filles et les femmes

Après avoir constaté une fréquentation plus faible et des usages inégaux des Ideas Box par les filles et les femmes, Bibliothèques Sans Frontières s’est associée en 2018 à la fondation Chanel pour contrer cette tendance en créant le programme Ideas Box 4 Women. Notre objectif : renforcer leur capacité d’agir afin qu’elles puissent s’exprimer et s’émanciper librement, partout dans le monde.

Retour sur ce programme avec Muy-Cheng Peich, directrice de l’éducation de l’association, et Marie Aquili, responsable de la formation et de la médiation du projet.

En 2018, Ideas Box 4 Women naît d’un constat généralisé sur l’ensemble de nos actions, en France et à l’international, tout contexte confondu : les filles et les femmes représentent seulement 37% des usagers des Ideas Box, contre 63% de garçons et d’hommes. Alors même que ces espaces peuvent être de formidables opportunités pour les femmes et les filles d’apprendre, de lire et de se retrouver, pourquoi sont-elles sous-représentées au sein de nos projets ?

L’une des causes principales, sans grande surprise : le patriarcat et les stéréotypes de genre. Dans de nombreux pays encore, les femmes doivent rester à la maison, se faire discrètes, sont assignées tout naturellement aux tâches domestiques et quotidiennes liées au bien-être de la famille. Dans certains contextes, nos partenaires reportent également que les femmes sont très souvent les premières victimes des violences au sein de la communauté, qu’elles soient psychologiques ou physiques.

Comment rendre alors nos projets plus paritaires ? À partir du diagnostic établi sur différents terrains d’intervention, des kits à destination des animateurs et animatrices de nos projets ont été créés autour de plusieurs thématiques, avec l’aide de nombreux partenaires locaux : santé maternelle et infantile, autonomie financière et entrepreneuriat des femmes, leadership et stratégie d’influence et lutte contre les violences basées sur le genre. Ils comprennent des contenus spécifiques de formation en présentiel et en ligne ainsi que des fiches d’activités pour les accompagner au mieux et faire de l’Ideas Box un espace sécurisé et attractif pour les filles et les femmes.

Début 2020, des formations ont également été organisées auprès de nos partenaires sur le terrain, chargés de projets et médiateurs, au Burundi et en Jordanie. Celles-ci ont été l’occasion de sensibiliser également les garçons et les hommes aux inégalités de genre et aux enjeux de la lutte contre celles-ci.

« Nous ne pouvons pas arriver dans une communauté et leur imposer, de force, notre conception du genre. Notre but est de faire en sorte que les animateurs se rendent eux-mêmes compte de la situation inégalitaire locale. Nous leur donnons ensuite les clés pour aborder ces sujets-là, tout en respectant la culture et leurs coutumes. La prise de conscience doit être portée localement. » explique Muy Cheng Peich, directrice de l’éducation de BSF.

Pendant les formations, de nombreux exercices sont participatifs. Parmi eux, une horloge quotidienne des routines doit être remplie par les femmes et les hommes. Le résultat est frappant.

« Quand on demande aux animateurs de dessiner la journée type d’une femme versus la journée type d’un homme et que l’on compare ensuite les horloges, on voit clairement que les femmes ont une charge familiale et domestique bien plus élevée que les hommes. Elles n’ont pas une seconde à elle, contrairement aux hommes qui ont beaucoup plus de temps pour leurs loisirs. Au fond, chacun le sait mais le fait de le voir concrètement est bien plus impactant. » souligne Muy-Cheng.

Au Burundi, dans le quartier de Buterere, travailler sur les mythes et les chansons locales permet également de souligner la manière dont les stéréotypes accompagnent chacun dès le plus jeune âge. Au sein de nos Ideas Box, par exemple, il n’est pas rare que certains garçons s’imposent et fassent comprendre aux filles que les jeux ne sont pas faits pour elles.

« Les relations humaines peuvent être très dures. Parfois, c’est la loi du plus fort qui prévaut : si trois garçons et deux filles veulent utiliser la tablette, cela va se décider à la force du poignet. C’est pourquoi notre intérêt est de créer une communauté de bonnes pratiques en s’appuyant sur les différents kits créés par nos équipes, qui pourront être améliorés en fonction des retours et premières expérimentations de nos partenaires. » précise Marie Aquili, responsable de la formation et de la médiation du programme.

Pour surmonter les barrières d’accès à l’Ideas Box, des stratégies concrètes ont été mises en place : réserver des plages horaires seulement pour les filles et les femmes, organiser des activités mixtes et encourager les garçons à inviter les filles à jouer avec eux. Il est aussi important de veiller à ce qu’il y ait toujours des animatrices et référentes.

« Nous invitons les femmes à fréquenter l’Ideas Box lorsqu’elles viennent déposer leurs enfants, de s’y rendre par exemple après les repas, quand elles sont davantage disponibles. Les filles adorent le module cinéma où des films d’empowerment sont régulièrement diffusés. Mais nous restons vigilants : le cinéma, c’est peut-être captivant mais c’est aussi le plus passif. Cela fait rêver et procure de l’énergie mais on veut faire des actions concrètes. » raconte Marie.

Bien que le programme Ideas Box 4 Women ait été bien accueilli par les communautés, Muy-Cheng et Marie soulignent toutefois l’importance d’une prise de conscience globale et durable.

« En véhiculant inconsciemment l’idée d’enfermement des femmes dans un rôle, les hommes reconnaissent ici qu’ils sont responsables de cette forme de machisme au quotidien. Si nous lâchons maintenant, le processus de sensibilisation va stagner. Nous sommes sur la bonne voie mais il reste encore beaucoup à faire. Une fois notre départ, ce sont aux chargés de projet sur le terrain de prendre le relais, d’observer l’évolution des interactions, le changement des comportements et les blocages. Les chiffres sont parlants : il faut que l’inclusion des femmes et des filles devienne l’une de nos priorités, partout dans le monde. C’est quand même la moitié de l’humanité, c’est pourquoi il faut absolument agir. » conclut Marie.

Un texte de Preamoney Tan

Un grand merci aux partenaires de ce programme : la Fondation Chanel, les associations Giriyuja, Jesuit Refugee Service et International Rescue Committee.

Depuis 2007, Bibliothèques Sans Frontières agit sans relâche pour favoriser l’accès à l’information et à l’éducation auprès de celles et ceux qui en sont privés – des camps de réfugiés au Bangladesh aux territoires ruraux en France – et faire du droit à la culture un droit fondamental de l’être humain. En treize ans, l’association a touché plus de six millions de personnes dans cinquante pays.

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