Atelier lecture avec Mots & Merveilles
Alphabétisation & lutte contre l'illettrisme - 12 septembre 2018

“L’illettrisme se tait”

« Il est important de parler de l’illettrisme. Plus on en parlera, plus les tabous se lèveront, plus les gens se rendront compte qu’ils ne sont pas esseulés dans cette situation et plus ils auront connaissance des réponses qui existent. »

Caroll Weidich

2,5 MILLIONS. C’est le nombre de personnes qui sont aujourd’hui en situation d’illettrisme en France, soit 7% de la population âgée de 18 à 65 ans ayant été scolarisée. Décrétée Grande cause nationale en 2013, la lutte contre l’illettrisme mobilise toujours plus les pouvoirs publics, les entreprises et les associations.

Parmi celles-ci l’association Mots & Merveilles, avec qui Bibliothèques Sans Frontières travaille de concert dans le nord de la France, aux alentours d’Aulnoye-Aymeries, pour approcher de nouveaux habitants avec l’Ideas Box dans les zones rurales, principalement touchés. Rencontre avec Caroll Weidich, directrice de l’association.

Sujet méconnu, invisible voire ignoré, l’illettrisme concerne des personnes qui ont été scolarisées en France mais qui ne maîtrisent pourtant pas – ou plus – l’écriture, la lecture et les opérations de calcul simples. À ne pas confondre avec l’analphabétisme, concernant des personnes qui n’ont jamais été scolarisées.

Parmi les causes sociales multiples de l’illettrisme, énumérons notamment le milieu socioéconomique, l’environnement familial ou encore la méthode d’enseignement inadaptée au rythme d’apprentissage de l’élève. En quelques chiffres :

50 % sont âgés de plus de 45 ans

51 % ont un emploi

60,5 % sont des hommes

71 % des personnes concernées parlaient
uniquement le français à l’âge de 5 ans

Module vert de l'Ideas Box

Les difficultés quotidiennes sont nombreuses : s’orienter sur une carte géographique, commander au restaurant, retirer de l’argent au distributeur automatique, faire ses courses, ne pas connaître sa date d’anniversaire ou son âge, lire l’heure ou envoyer des mails. Rendant l’insertion sociale et professionnelle très difficile, d’autant plus avec la transition numérique, les évolutions du monde du travail et la dématérialisation des services administratifs, poussant les personnes vers toujours plus d’autonomie.

Très souvent, honteusement, les personnes concernées usent alors de stratégies de contournement : un oubli de lunettes, un mal de poignet.

« L’illettrisme se tait. Quand tu as cette difficulté-là, tu en parles peu, tu la caches. C’est une réalité : tu dis plus facilement ‘je suis nul en mathématiques’ ou ‘je ne sais pas faire de l’informatique’ que ‘je ne sais ni lire ni écrire’. »

D’où l’importance de mettre en place des actions de repérage et de sensibilisation à l’illettrisme auprès d’acteurs relais, comme les référents pôle emploi, les professeurs, les assistantes sociales ou encore les médecins.

« Certains patients ne savent par exemple pas lire l’ordonnance donnée. Une fois repérés, ils sont ensuite orientés par le personnel de santé vers Mots & Merveilles.

Nous mettons également beaucoup d’actions en place en faveur des enfants. Dans les écoles maternelles par exemple, des bénévoles amènent une malle de livres pour des lectures individuelles. Parfois, ce sont leurs parents qui viennent nous voir. »

Avec 17 salariés et 291 bénévoles, l’association Mots & Merveilles est présente dans sept communes de la Sambre-Avesnois. En 2017, ce sont 754 personnes qui ont été suivies, dont 678 adultes.

« Pour certains, le livre est une découverte, pour d’autres, il est un objet de peur. Les profils de personnes en situation d’illettrisme sont multiples : s’il n’y avait qu’un profil, il y aurait une réponse et il n’y aurait plus d’illettrés.

J’ai rencontré dernièrement un papa qui m’a dit : ‘quand mon fils rentre de l’école, je mets son livre en haut du frigidaire pour ne pas qu’il l’abîme’. Une autre maman, Marie-Agnès, faisait copier à sa fille des pages de dictionnaire et de livres, quand elle était petite, parce qu’elle voulait absolument que sa fille ne soit pas comme elle. Certains ont peur que leurs enfants apprennent à lire et à écrire parce qu’ils basculent dans l’autre monde… »

Photo des locaux de Mots & Merveilles

Depuis dix ans, Mots & Merveilles multiplie ses terrains d’action : prévention dès le plus jeune âge, accompagnement individualisé des adultes et enfants, formations des bénévoles et ateliers artistiques.

« Aller au théâtre n’est pas une simple sortie culturelle. Nous travaillons beaucoup en amont : Quel est le thème du spectacle ? Quelle est l’histoire du lieu ? Comment s’y rendre ? Quels en sont les codes ? Ils ne connaissent pas le rappel, par exemple. Ces échanges sont ponctués de recherches internet et d’écrits. Mais surtout, ils s’expriment : l’expression orale est essentielle pour combattre l’illettrisme. Plus tu enrichis ton vocabulaire, mieux tu es capable de comprendre ce que tu lis. Eux ont un vocabulaire très restreint, il faut donc remettre du sens dans l’apprentissage.

Pour beaucoup, lire et écrire, c’est communiquer avec l’administration. S’ils ne comprennent pas les courriers qu’ils reçoivent, cela peut donc les repousser. D’où l’importance de mettre en place des actions culturelles, leur permettant d’accéder au plaisir. »

Dans les Hauts-de-France, l’illettrisme concerne plus d’une personne sur dix. Soit deux fois plus que la moyenne française. Grâce au soutien du département du Nord, de la Fondation Cultura et de la Fondation Crédit Agricole, l’association Mots et Merveilles a accueilli cet été une Ideas Box pour aller au contact des publics en zones rurales et faire de la prévention, de la détection.

« Dans les zones rurales, le public n’est pas mobile. L’Ideas Box nous permettra d’approcher des habitants qu’il nous est d’habitude difficile d’atteindre, notamment par le biais du numérique. Celui-ci peut évidemment faire peur mais ce n’est pas une honte de ne pas le maîtriser. Ne savoir ni lire ni écrire l’est : c’est vécu comme un échec, un tabou, un fardeau.

Le numérique nous permettra d’attirer davantage de personnes, fières et curieuses d’apprendre. C’est une porte d’entrée qu’il sera beaucoup plus facile de pousser, pour ensuite, progressivement, travailler les maîtrises de savoir de base avec eux. »

Photo de livres sur un porte-manteaux

Depuis 2007, Bibliothèques Sans Frontières agit sans relâche pour favoriser l’accès à l’information et à l’éducation auprès de celles et ceux qui en sont privés – des camps de réfugiés au Bangladesh aux territoires ruraux en France – et faire du droit à la culture un droit fondamental de l’être humain. En treize ans, l’association a touché plus de six millions de personnes dans cinquante pays.

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