Photo d'enfants en bord de mer
Médias - 17 novembre 2017

L’exil d’une famille iranienne

Dans la nuit du 10 avril dernier, un incendie ravage le camp de réfugié.e.s de la Linière, à Grande-Synthe, ouvert un an plus tôt par Médecins Sans Frontières, à la demande de Damien Carême, le Maire de la ville. Environ 1400 femmes, hommes et enfants – principalement des Afghan.e.s, des Iranien.ne.s et des Irakien.ne.s – vivaient alors dans 300 cabanons en bois, en anglais shelters. Parmi eux : Eslam, Soreya, Sara et Sam, une famille kurde iranienne occupant le « Shelter 29 », titre du récit photographique de Ludivine Fasseu et Pascal Bachelet.

D’ILAM À GRANDE-SYNTHE

Durant sept mois, la journaliste Ludivine Fasseu et le photographe Pascal Bachelet ont suivi le quotidien d’Eslam, de Soreya et de leurs deux enfants, Sara et Sam, une famille kurde iranienne occupant le shelter 29. Ils ont fait leur connaissance à la Butterfly House, un centre psychosocial animé par la Croix-Rouge française, Médecins du Monde et Bibliothèques Sans Frontières. Ce préfabriqué, installé pour accueillir les réfugié.e.s le temps d’activités et de quelques soins, accueillait depuis juin 2016 une Ideas Box, l’une des cinq médiathèques en kit déployées sur les routes migratoires en Europe.

« La Butterfly House, c’était comme un repas de famille le dimanche, où les adultes par exemple s’occupaient des enfants qui n’étaient pas les leurs. Un lieu où les réfugié.e.s pouvaient souffler et laissaient un temps leur condition de côté. Ils venaient y recharger leur téléphone mais aussi jouer aux cartes, boire un thé chaud en hiver, écouter de la musique ou tout simplement échanger avec les bénévoles et d’autres réfugié.e.s. Je la vois personnellement comme une bulle, une parenthèse. Les activités proposées par les associations permettaient non seulement de pouvoir établir un dialogue mais elles structuraient et rythmaient les journées. C’est très important pour garder des repères. » explique Ludivine.

Photo de la Butterfly House

Des repères, Eslam, Soreya, Sara et Sam en avaient en Iran, à Ilam, une ville non loin de la chaîne montagneuse des Kabir Kuh et de la frontière irakienne. Lui était électricien et professeur de kung-fu. Elle était femme au foyer et s’occupait de ses deux enfants, alors trop jeunes pour aller à l’école. Dans un mouvement de colère, lors d’une manifestation sportive, Eslam, 35 ans, brise volontairement le cadre du portrait du guide suprême Ali Khamenei. Fait anodin pour nous, raison d’exiler pour eux. Ils font alors appel à un passeur pour traverser l’Europe : la Turquie, la Grèce, la Macédoine puis l’Allemagne. Quelques mois plus tard enfin, ils arrivent dans le camp de la Linière, avec l’envie de rejoindre le Royaume-Uni.

Ici, un quotidien bien différent : un cabanon de 9 mètres carré, un réservoir de pétrole par jour, des cuisines communautaires, des épiceries solidaires, une laverie, des espaces réservés aux femmes et aux enfants, quelques jeux en extérieur, toilettes et douches, des tentatives échouées de passage en Angleterre, toujours des passeurs. Le froid, la fatigue et les maladies. Et la Butterfly House donc, où ils passaient beaucoup de temps.

« C’était un vendredi après-midi, Cassandre de BSF et Chloé de la Croix-Rouge française avaient organisé des activités pour les familles. La petite Sara était présente. Nous l’avons regardée jouer, elle avait un regard et un sourire que l’on n’oublie pas. Chloé nous a expliqué que sa famille était là depuis quelques mois déjà. Que Sara avait un petit frère et qu’ils étaient tous d’une extrême gentillesse. Quand le papa, Eslam, est arrivé à la Butterfly House, nous lui avons expliqué notre projet, grâce à Mohsen le traducteur. Il a accepté presque naturellement, c’était un premier pas. » se souvient Ludivine.

Photo d'enfants qui courent devant la Butterfly House

D’abord en retrait car quelque peu timides, Eslam et Soreya se sont de plus en plus ouverts et confiés à Ludivine et à Pascal, jusqu’à leur ouvrir les portes de leur shelter – situé à l’entrée du camp – et raconter leur histoire. Pascal insiste d’ailleurs sur l’importance de la confiance établie entre eux et la famille, confiance sans laquelle le projet n’aurait vu le jour :

« Nous voulions raconter l’histoire du quotidien, celui d’une famille dans ses moments de joie et de doute. Des sorties à l’école aux repas dans le shelter. Notre regard se devait d’être vrai : aucune mise en scène, seulement la réalité. Nous ne voulions pas seulement être témoins de ce que nous vivions, mais également acteurs. Nous avons pris notre temps pour installer une relation de confiance, de fidélité et de bienveillance avec les quatre membres de la famille. » explique Pascal.

Photo d'un père jouant avec ses deux enfants

LIVRE, BOOK, KITAB, LIBRO, PIRTÛK

L’AFEJI, Médecins Sans Frontières, Médecins du Monde, Gynécologie Sans Frontières, Dentistes Sans Frontières, la Croix-Rouge française, Salam, l’Adra, SWK, l’Auberge des migrants, Emmaüs… chaque jour, des dizaines d’associations œuvrent auprès des personnes réfugiées pour la distribution des repas, les soins et l’écoute, l’organisation des sorties culturelles, éducatives, et la mise en place d’activités diverses. Et dans cette nébuleuse : Bibliothèques Sans Frontières.

« L’accès à la culture doit être une priorité ! Parce qu’on fuit son pays, la guerre ou la dictature, nous n’aurions plus les mêmes droits ? Nous avons vu des choses extraordinaires à la Linière et notamment via la Butterfly. Grâce à l’Ideas Box par exemple, les réfugié.e.s pouvaient échanger, expliquer d’où ils venaient mais aussi continuer d’apprendre et de s’informer ! Les enfants participaient à des activités et pouvaient là aussi échanger entre eux. Quand ils avaient la possibilité de jouer avec quelques tablettes, ils redevenaient des enfants comme les autres. » raconte Ludivine.

Photo d'un enfant avec une tablette

Parmi ces activités justement, Solène Burtz, ancienne service civique de BSF, se souvient de la création d’un imagier, en collaboration avec les utilisateurs.trices de l’Ideas Box :

« Nous nous sommes rapidement rendu compte qu’il nous faudrait savoir communiquer sur les outils de l’Ideas Box. L’équipe de BSF a donc préparé un ‘imagier/dictionnaire’ pour illustrer les outils et expressions de la vie quotidienne du centre. Au départ, nous avions prévu une petite activité rapide dont le but était surtout l’utilité finale. Rapidement, la création de ces affiches dictionnaire a suscité l’intérêt de plusieurs utilisateurs. Avec une dizaine de personnes, nous nous sommes retrouvés à échanger sur la traduction de chaque mot en kurde, en farsi, en français, en arabe, en italien et en anglais ! Au-delà de l’utilité que chacun avait à traduire les mots de tous les jours, nous avons pu participer à un réel moment d’échange où chaque langue était considérée sur un pied d’égalité. Nous avons été parfois surpris des similarités et différences de certains mots dans chaque langue, et ri des tentatives de chacun pour répéter le nouveau vocabulaire ! »

Pour « créer du lien », poursuit-elle, mention spéciale pour les jeux de société :

« Ce que je préfère dans l’Ideas Box, ce sont les jeux de société. Peut-être car ils peuvent intéresser tous les publics ; enfants, adolescents, adultes, hommes, femmes. C’est surement aussi parce qu’à travers des jeux comme les dominos ou les échecs, on se rend compte de l’internationalité du jeu. Mais surtout, les jeux de société ont en eux la magie d’initier la conversation. Au-delà des règles du jeu, au-delà des mots et du plateau, c’est par la gestuelle du jeu et par le regard du stratège que l’on partage et que l’on communique avec son voisin. »

Photo de deux hommes devant un atlas

En un an, plus de sept mille associatifs et bénévoles sont passés par le camp de la Linière. Claire Davenel, bénévole BSF pendant quelques mois, revient sur son expérience :

« J’ai intégré la Butterfly House quelques mois avant que le camp ne parte en fumée. En proposant mon aide à BSF, je voulais passer du temps avec les hommes isolés, à mon sens les grands oubliés du camp. Je suis très admirative du travail effectué par Cassandre, chargée de projet, et par les différents services civiques. Les résident.e.s prenaient vraiment plaisir à venir dans cet espace sûr et coloré. Bien qu’il m’arrivait d’apporter mon aide pour les activités enfants, je me suis principalement occupée des adultes. Et alors, ce que j’ai pu jouer au Backgammon ! J’étais la seule bénévole qui savait jouer à ce jeu, beaucoup pratiqué en Iran. C’est devenu comme un rendez-vous. Les parties de Backgammon… Bien plus qu’un jeu, ce moment avec chacun m’a permis de créer doucement des liens, de pouvoir échanger, d’accueillir des confidences et aussi de rendre compte de l’état psychologique des uns et des autres. Et surtout de rire ! »

Photo de bénévoles avec des enfants

Plus de sept mois après l’incendie, qu’en est-il ? Pour Eslam, Soreya, Sam et Sara, l’histoire s’écrit maintenant en Allemagne, en bonne voie d’une régularisation de leurs papiers, là où leurs empreintes digitales avaient été prises avant d’arriver en France. Le gouvernement français s’opposant à la création d’un nouveau camp à Grande-Synthe, beaucoup de réfugié.e.s se retrouvent aujourd’hui dans les rues et forêts alentours de la ville et dans la région. Certain.e.s ont réussi à rejoindre le Royaume-Uni, d’autres risquent leur vie chaque nuit, sur les routes entre Dunkerque et Calais, dont la jungle fut démantelée il y a plus d’un an et où Claire continue d’aider les diverses associations :

« Après la disparition du camp de la Linière j’ai retrouvé des habitué.e.s de la Butterfly House lors de maraudes dans les rues de Calais. C’est bien triste. La seule chose qui peut me consoler, c’est la joie sincère qu’ils ont à nous retrouver. Ce que nous avons fait n’a pas servi à rien ! Les faire rire et sourire est bien la plus belle chose que j’ai faite de ma vie. » 

Photo d'une petite fille sur une balançoire

Pour commander “Shelter 29” : images.territoires@yahoo.fr
Photographies : Pascal Bachelet 

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