L’un est parrain de Bibliothèques Sans Frontières depuis peu, l’autre le créateur de l’Ideas Box, il y a déjà quatre ans. Ce matin, vendredi 8 juin, dans les studios de France Inter, le premier recevait le second. Extrait.
Une idée pour celles et ceux qui sont pris au piège du temps, de l’espace, d’aujourd’hui. Une idée pour passer le temps justement, mais aussi pour ouvrir l’espace, pour se projeter vers l’avenir, une idée qui permettrait d’abattre les frontières, mêmes symboliques, de créer du lien, de se reconstruire. Imaginez quatre boîtes, qu’on pourrait monter et démonter en moins d’une demi-heure. Le tout forme une médiathèque autonome, en énergie et en réseau. Une médiathèque que l’on pourrait transporter, installer partout dans le monde, même dans les zones les plus précaires. il suffit de l’installer dans la rue, dans un camp de réfugiés. Tablettes, ordinateurs, télévision, vidéoprojecteur, jeux, films, livres numériques et papier. C’est juste une idée, une bibliothèque là où il n’y en aurait pas. Il suffirait de l’installer dans la rue, dans une cour d’école, dans un camp de réfugiés, où vous voulez. On pourrait s’y informer, s’y instruire, partager, s’ouvrir. Le contenu ne serait jamais le même parce qu’il aurait été pensé pour le lieu qui va l’adopter, suivant la langue que l’on parle, sa culture mais aussi ses besoins. Ce n’est pas une idée mais une boîte à idées, modulable, déclinable, mouvante. Une boîte à idées qui s’appelle l’Ideas Box, qui a vu le jour il y a quatre ans grâce à l’association Bibliothèques Sans Frontières, que l’on trouve dans une vingtaine de pays et que près d’un million de personnes utilise aujourd’hui. Tu parles d’une idée !
Augustin Trapenard : Mon invité d’aujourd’hui n’est jamais à court d’idées. Il a participé à la création de celle que je viens de décrire, mais sans doute avez-vous déjà eu l’occasion de le connaître autrement, de vous asseoir dans l’une de ses chaises transparentes, de presser un agrume avec son presse à trois pattes, ou de flâner dans l’un de ses hôtels, de ses espaces, de Paris à Tokyo en passant par Mexico ou Metz. Son travail protéiforme a imprégné le monde entier et en a fait l’un de nos créateurs les plus importants. D’abord, qu’est ce qu’incarne pour vous cette médiathèque en kit, l’Ideas Box, que vous avez créée pour Bibliothèques Sans Frontières, association dont je suis fier d’être le parrain ?
Philippe Starck : C’est un rêve. J’aimerais être les gens qui l’ont fait, être réellement utile, sauver des vies d’une manière ou d’une autre. En cas de catastrophes diverses, les gens pensent à donner des tentes, soigner et nourrir. Mais eux ont demandé : comment on se reconstruit ? Quand vos parents ont été découpés à la machette devant vous, quand on n’a plus de maison, plus rien. Ce sont les livres, pour reconstruire l’imaginaire, reconstruire la culture. Ils m’ont demandé de faire ce village itinérant, ce village nomade, qui fonctionne extraordinairement bien et qui donne immédiatement l’image que chaque livre est une brique qui permet de reconstruire la vie des gens, une maison virtuelle autour d’eux ! J’ai une profonde admiration, une profonde émotion pour ces personnes. On devrait tous chercher l’idée pour réellement aider.
A.T. : Un rêve, dites-vous, le droit inaliénable de continuer à rêver. Qu’est-ce qui vous fait rêver, vous ?
P.S. : Ça ! Je rêve d’être utile, sachant que c’est un peu trop tard pour le devenir. Vous et moi, on est inutiles, reconnaissons-le, on est totalement secondaires. La première chose c’est : est-ce que l’on crée la vie ? Il suffit d’être un père, une mère. Mais est-ce qu’on est capable de sauver une vie ? Non, je ne sais pas le faire. Quand je dis ça, on me dit : tu améliores la vie. Oui d’accord, mais pour améliorer la vie, il faut qu’elle existe, d’abord il faut la sauver.
A.T. : Cette Ideas Box, comment l’avez-vous conçue, à partir de quels postulats, concepts et matériaux ?
P.S. : Ce sont des choses que l’on doit parachuter dans des océans de boue, dans des déserts, dans des lieux inhospitaliers. Il fallait mettre le maximum d’intelligence, de connaissance, concentrées dans des boîtes indestructibles. Elles se déplient très vite, et à la fin, on oublie que c’est de l’urgence, parce qu’on a fait joli et confortable : des jolies couleurs, des petits fauteuils, des petites tables. Un gamin aura envie, quand il les verra tombées du ciel, d’y aller tout naturellement. Il ne faut pas que la reconstruction, que le futur bonheur, commence par une punition.
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