Projets - 6 avril 2022

Le livre, une arme contre Boko Haram au Cameroun

À Maroua dans l’extrême-nord du Cameroun, deux tricycles-bibliothèques sillonnent les routes pour lutter contre l’obscurantisme dans les zones où sévit depuis 2014 le mouvement terroriste Boko Haram. Porté par BSF et l’association locale Lire au Sahel, ce projet – appelé Moota Andal – permet aux habitants d’accéder facilement et gratuitement aux livres, dans une région marquée par les conflits réguliers. Rencontre avec David Wanedam, président de Lire au Sahel.

Le Groupe sunnite pour la prédication et le djihad, surnommé Boko Haram, qui signifie « l’éducation occidentale est un péché » en haoussa, n’a pas toujours été un groupe terroriste. Fondé au Nigéria par le prédicateur Mohammed Yusuf en 2002, il s’agit au départ d’une secte religieuse qui prône un islam radical et rigoriste. Mais au fil des années, le mouvement prend les armes et sème la terreur dans le pays et chez ses voisins au Cameroun, au Niger et au Tchad. Depuis 2009, le mouvement est à l’origine de nombreux massacres, attentats et enlèvements. Près de 30 000 personnes sont mortes, 2,6 millions ont été déplacées.

Au Cameroun, c’est dans la région de Maroua, dans l’extrême-nord du pays, que Boko Haram sévit depuis plusieurs années. Dans le chef-lieu d’un million d’habitants, il ne reste plus aucune bibliothèque publique et une seule librairie résiste encore – on y trouve principalement des livres scolaires et académiques. La région enregistre un taux d’analphabétisme record : plus d’un jeune sur quatre ne sait ni lire ni écrire.

“Une autre voie est possible : la culture”

Dans ce contexte difficile, BSF et l’association locale Lire au Sahel ont imaginé le projet Moota Andal – qui signifie “véhicule du savoir” en peul. Depuis un an, deux tricycles-bibliothèques sillonnent les routes à la rencontre des habitants éloignés du livre pour leur re-donner le goût de la lecture. À leur bord : une centaine d’ouvrages sélectionnés chaque jour par les médiateurs de Lire au Sahel parmi les 3 000 livres de leur bibliothèque installée dans le quartier de Pitoaré – en fonction des lieux visités, de leurs publics et des activités proposées.

« La bibliothèque est un espace de rencontres, un lieu neutre et vivant où le savoir est la religion de tout le monde – indépendamment de sa couleur, de sa langue, de sa croyance et de tout ce qui peut nous diviser.

La lecture doit retrouver une place centrale dans la vie des habitants. C’est pourquoi nous devons aller vers eux, aller directement là où ils vivent, donner accès aux livres dans les quartiers isolés, sur les marchés, dans les écoles et les administrations, à la Mairie, au Palais de Justice ou à la Préfecture. » David Wanedam, président de Lire au Sahel.

En plus des livres jeunesse, bandes dessinées et autres romans, les tricycles transportent également un Ideas Cube. Cette bibliothèque numérique créée par BSF donne accès aux habitants à des centaines de contenus numériques. Formés à l’utilisation de l’outil, les médiateurs de Lire au Sahel s’appuient sur ces ressources pour organiser des activités autour du livre, faire des lectures à haute voix et renforcer l’alphabétisation des plus jeunes.

Face au discours simpliste de Boko Haram, David brandit ainsi la lecture comme arme pour lutter contre l’ignorance et “ne surtout pas laisser la place à l’obscurantisme.”

« Boko Haram est venu déstructurer un système déjà très affaibli. Une partie de la jeunesse est au banc d’un système concurrentiel et corrompu, au bord de la route à vendre du carburant illégalement. Les soldats du mouvement terroriste savent très bien parler aux jeunes générations, d’où l’importance de produire un contre-discours plus ouvert et porteur d’espoir. Nous devons leur montrer qu’une autre voie est possible. Cette autre voie, c’est celle de la culture ! » David Wanedam.

Ce plaidoyer pour la culture, conclut David, ne doit pas seulement être porté par les associations locales et les organisations humanitaires. Pour réussir, il insiste sur l’importance d’un travail collectif, de concert avec les autorités.

« Le gouvernement doit s’emparer d’urgence de cette thématique et investir massivement pour l’accès aux livres et la formation des jeunes et des étudiants. Mais pour l’instant, ce n’est pas une priorité politique. Seul le temps nous donnera raison, on les aura à l’usure !

C’est un travail de longue haleine. Il faut encourager les jeunes, ouvrir les horizons, leur montrer que leur place compte dans la société. Ils ont soif de reconnaissance. On ne verra pas les fruits des graines que nous plantons rapidement, cela relèverait du miracle. Mais c’est un investissement essentiel pour l’avenir. » David Wanedam.

Depuis l’été 2021, plus de 3 000 personnes ont bénéficié des actions du projet Moota Andal ; 80% d’entre eux ont moins de 18 ans.

Bibliothèques Sans Frontières est une ONG qui renforce le pouvoir d’agir des populations vulnérables en leur facilitant l’accès à l’éducation, à la culture et à l’information. En France et dans plus de 30 pays, l’association crée des espaces culturels et éducatifs innovants qui permettent aux personnes touchées par les crises et la précarité de s’instruire, de se divertir, de créer du lien et de construire leur avenir.

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